Marie-Josée Neuville

Une entrevue remarquable réalisée en 1985

 

Voici un extrait d'une entrevue avec Marie-Josée Neuville réalisée par Jean-Paul Sermonte le 3 mars 1985.   Cette entrevue a paru dans la revue Les Amis de Georges,  numéro 109 de mai 2009.

 

Les débuts de Marie-Josée Neuville : une collégienne aux chansons interdites…

 

JPS : Marie-Josée, on vous surnommait en 1956 la « collégienne de la chanson », vous étiez la première idole des jeunes, la chanteuse préférée de la génération qui a précédé les yé-yé. Votre succès a été rapide et immense…

MJN : Oui, tout s’est passé assez vite. Quand je réécoute les chansons que je chantais en ce temps-là, je suis parfois surprise tant par le thème de la chanson que par le culot que j’avais à une époque où on m’appelait « la collégienne » alors que j’avais dix-sept ans ! Ces dix-sept ans, d’ailleurs, je les ai gardés pendant sept ans ! J’avais du toupet pour chanter des chansons à double sens, sans percevoir le deuxième sens bien sûr ! Je chantais tout au premier degré, et avec le recul ça m’amuse beaucoup… À présent je perçois un peu le charme qu’avait cette jeune fille, je suis assez éloignée d’elle pour la regarder un peu « vue d’avion », et je m’aperçois que c’était surprenant, pour l’époque en tout cas…

JPS : À votre sujet, on parlait de fraîcheur et d’ingénuité, pourtant, bien vite, certaines de vos chansons furent interdites d’antenne, comme, par exemple, Le monsieur du métro. 

MJN : C’est cette chanson précisément, ce Monsieur du métro, qui m’a lancée. Avant que je ne la chante, j’étais une petite jeune fille comme il y en avait certainement beaucoup, qui tentait de percer, qui passait des auditions… Puis je suis passée à l’Olympia avec trois chansons bien sages : il y avait Johnny Boy, Gentil camarade, Les petites pestes, et, en faux rideau, c’est-à-dire en seconde apparition, Le monsieur du métro. C’est cette chanson qui a fait que le lendemain, j’étais dans tous les journaux ! J’ai choqué à la fois le public et mon directeur artistique qui hurlait dans les coulisses : « Ce n’est pas possible, ce n’est pas elle qui a pu écrire une chose pareille ! » Si vous réécoutez cette chanson, vous verrez qu’il n’y a pas de quoi fouetter un chat, mais, à l’époque, vous n’imaginez pas ce que cette chanson a pu heurter, surtout chantée par une gamine de dix-sept ans…

JPS : Est-ce que votre succès vous a surprise ? Le succès peut-il changer une jeune fille de dix-sept ans ?

MJN : Oui, il a été immédiat après l’Olympia, après Le monsieur du métro. Le déclic est venu de là. Avant, il y avait tout un microsillon d’une dizaine de chansons – car, à l’époque, les 33 t étaient plus petits – qui avait été gentiment accueilli, sans plus ; je continuais à faire des cabarets, à chercher difficilement un emploi, d’autant que je n’en menais pas large de passer dans des cabarets à des heures avancées de la nuit : je devais donc avoir terminé le tour de chant à minuit et beaucoup d’employeurs hésitaient à me prendre à cause de cette obligation. Puis cette chanson est arrivée, et, le lendemain, je peux dire qu’il n’y avait pas un journal en France qui n’aie pas publié ma photo légendée : « Énorme succès à l’Olympia ! » J’ai vraiment été sacrée vedette du jour au lendemain, toutes les radios m’avaient découverte !  Vous me demandez si ça m’a changé : mon vrai problème, c’est que j’ai perçu tout de suite les inconvénients de la gloire précipitée. Je ne pouvais plus sortir dans la rue, on me reconnaissait partout, j’adorais faire des bêtises, j’adorais vivre en patin à roulettes, par exemple, j’ai passé, on peut le dire, toute mon adolescence en patin à roulettes, eh bien c’était terminé ! Il m’a fallu avoir très rapidement une voiture, je n’avais même pas l’âge de conduire… J’ai été obligée d’endosser une apparence, le costume d’une célébrité alors que je vivais encore dans une petite chambre de bonne.

JPS : Vous parliez de l’Olympia, comment êtes-vous venue jusqu’à l’Olympia ?

MJN : C’est grâce à un concours d’auteurs compositeurs. Une annonce était passée à la radio – on écoutait beaucoup la radio à cette époque. J’avais déjà écrit une chanson, une seule, qui s’appelait Une guitare, une vie, que j’avais chantée à la distribution des prix, aux copains, et c’est tout. Quand j’ai entendu cette annonce, je me suis dit : « Et si j’y allais ? » et j’y suis allée ! Nous étions peu nombreux car il y avait très peu d’auteurs compositeurs, alors les organisateurs ont généralisé le concours afin que n’importe qui aimant chanter avec ou sans guitare puisse venir participer. Je l’ai fait, et nous étions finalement 800. Il y a donc eu de nombreux éliminatoires, je suis arrivée en finale, et j’ai gagné cette finale avec un garçon, (il y avait un premier prix « fille », et un premier prix « garçon »). Remporter ce concours offrait la récompense de passer en supplément de programme à l’Olympia. Puis les mois ont passé, à tel point que j’avais oublié la récompense ! J’avais pris goût aux concours et participé à d’autres que, le plus souvent, je gagnais, et c’était marrant, car c’est cette progression dans les concours qui m’a permis d’être entendue, par exemple, dans une maison de disques… Ce qui m’a amenée à me retrouver face à face avec un directeur artistique, des imprésarios… Bizarrement, du jour au lendemain, trois, quatre imprésarios sont venus me voir, je n’en connaissais même pas l’usage, je ne savais pas quoi en faire, eux savaient, moi, pas.

JPS : À propos, il y a quelques années, j’ai rencontré Pierre Hiégel, il était à l’époque directeur artistique chez Pathé-Marconi, et, bien sûr, je lui ai demandé de parler de Marie-Josée Neuville. Il m’a confié qu’il avait été frappé par l’originalité du personnage et surtout la qualité de ses chansons : un mélange de candeur et de réalisme qui avaient un impact formidable sur le jeune public, mais aussi sur les adultes. Quand vous chantiez, était-ce davantage pour un public de votre âge ou pour tous les publics ?

MJN : À vrai dire, j’avais tellement peur de chanter qu’en réalité, je ne chantais pour personne ! Si je m’étais imaginé le public, si je n’avais pas obstinément fixé un projecteur quand j’étais sur scène, je n’aurais pas pu chanter ! L’idée de chanter pour quelqu’un, une seule personne, déjà, me paralysait, et puis vous savez, quand on a peur, c’est justement à la gorge que l’angoisse vous étreint. La seule chose qui ne peut pas sortir, c’est le son, et j’étais tellement paralysée de peur que je ne voulais pas savoir s’il y avait du monde dans la salle…

JPS : Est-ce que ça vous agaçait quand on employait toujours les mêmes qualificatifs, pour parler du début de votre carrière, des mots comme « fraîcheur », « simplicité », « candeur »…

MJN : Oui, ça m’a agacée, c’est curieux, mais ça m’a agacée à l’époque où c’était vrai, finalement. J’étais vraiment, sans le savoir –  je parle à présent avec suffisamment de recul pour pouvoir analyser le personnage de « la collégienne de la chanson » –, j’étais vraiment fraîche, candide, je chantais des chansons dont je ne percevais pas le double sens et je n’aimais pas qu’on me traite de « fraîche, candide », et « d’enfant prodige ». J’ai écrit une chanson sur ce thème tellement cela m’insupportait. J’avais envie d’être une chanteuse, c’est tout… et mon rêve était bien sûr d’arriver à la fin de ce contrat que j’avais avec Pathé-Marconi, et d’avoir le droit de couper les nattes, de mettre des talons hauts, de porter des bas… Ce contrat exigeait que je garde mes nattes et que je m’habille avec une robe à bretelles, un petit corsage avec des petits volants… Je portais des petits ballerines avec des chaussettes blanches, une grande jupe rouge avec des bavettes et des bretelles, très « jardinière », et puis toujours ces nattes… sans oublier une absence totale de maquillage ! Moi je mourais d’envie de me maquiller, c’était l’âge ou j’avais envie de faire mes premiers essais, de devenir une femme… Si bien que, lorsque le contrat est arrivé à son terme, j’ai pu pendant un laps de temps très court – cette période que l’on appelle la « tacite reconduction » – me précipiter chez le coiffeur, et me couper les nattes à ras, complètement ! Je suis apparue sur scène avec des talons hauts, une robe qui soulignait mes formes naissantes car j’étais très en retard sur ce sujet, et, enfin ! maquillée… Bref, j’avais fait des frais considérables, persuadée qu’on allait me retirer ces qualificatifs de fraîcheur, de candeur, etc.

JPS : Vous étiez heureuse de cette émancipation tant souhaitée ?

MJN : Oui, mais c’était tellement maladroit ! Ah ! ces premières chaussures ! Je marchais si mal sur scène, parce que j’ai tout de suite tenté ma chance sur scène avec cette nouvelle Marie-Josée… Eh bien ce fut un retentissant fiasco ! Le public lui-même l’a très mal pris, beaucoup de fans, et notamment des jeunes filles, s’étaient laissé pousser les cheveux, avaient attendu avec impatience d’avoir enfin des nattes comme leur idole, et à peine les avaient-elles que crac ! je coupais tout, brisant finalement un accessoire important pour ces adolescentes. Les journalistes, eux, ont aussi fort mal pris la chose : j’avais cassé un personnage trop brutalement et, surtout, je l’avais remplacé par un personnage tellement gauche… j’étais déguisée en bonne femme ! Moi, vu de loin, j’aurais été attendrie par cette maladresse qui prouvait justement la véritable candeur du personnage, mais ce n’est pas ainsi que cela a été perçu… C’est un couperet qui est tombé, la critique s’est montrée extrêmement sévère, et, pour moi, il n’était plus question de revenir en arrière, de redevenir la petite fille…

JPS : Ce fut sévère et brutal à ce point-là ? L’important, au fond, n’était-ce pas les chansons ? Pourquoi ne pas vous pardonner de changer votre look ?

MJN : En vérité, j’étais malade de passer sur scène. La scène était une chose que je ne pouvais pas supporter. Je sais que tout le monde a le trac et je me rassurais en entendant tout le monde parler de son trac mais moi je les voyais bien, les autres, ils étaient sur scène et ils en étaient heureux, et quand il n’y avait pas de contrat, quand il n’y avait pas de gala ni de tournée organisés, ils en souffraient… Je me souviens de Marcel Amont, avec lequel j’ai beaucoup tourné puisque nous avions le même imprésario, eh bien Marcel Amont n’était complètement en vie que sur scène, moi c’est le contraire, je mourais, dans les coulisses, à attendre de paraître. Pendant qu’on m’annonçait, je prenais mon pouls, je me disais, je vais être vieille à vingt ans, je vais un jour avoir une crise cardiaque, je vais y passer, et c’était devenu de plus en plus dur. D’abord, physiologiquement, je changeais aussi, quand j’avais un gala, instantanément, j’avais la voix enrouée, j’attrapais un rhume, une angine. Si j’avais une télévision, j’avais un gros bouton qui me poussait sur la figure, c’était complètement psychosomatique… et j’enviais tous ces gens qui ne chantaient pas, qui étaient assis dans la salle, qui venaient pour écouter quelqu’un, mon Dieu comme j’aurais voulu être à leur place !

JPS : Et la scène était obligatoire…

MJN : À l’époque où je chantais, il était impossible de se faire un nom parmi les chanteurs sans être obligé de faire une fois par an soit l’Olympia, soit Bobino, suivis des tournées, d’été notamment, et parfois même des tournées d’hiver pour les Fêtes, etc. Il était impensable qu’on soit un chanteur, une vedette, uniquement par des passages à la radio. Je suis heureuse, d’une part, que cette aventure me soit arrivée, et, d’autre part, d’en être sortie indemne parce que j’aurais pu en sortir déçue, aigrie, ou j’aurais pu tenté de m’accrocher. Je sais que beaucoup de chanteurs l’ont fait, et c’est très pénible à voir et à entendre.

JPS : Aviez-vous un « maître » à vos débuts ?

MJN : Ah oui !, incontestablement, pour moi, c’était Brassens. Brassens… Je me souviens très bien, c’était en 1952… Ce que j’adore chez lui, c’est qu’il a réussi à franchir des limites, les espèces de règles qui étaient imposées dans la chanson. Il a libéré les rimes, il n’hésitait pas à faire rimer « les braves gens n’aiment pas que / L’on suive une autre route qu’eux » ; il y avait les libertés prises dans l’écriture, il avait l’originalité, l’inspiration, et puis aussi cette voix de gros nounours qui était si agréable et qui collait si bien à son physique. L’arrivée de Brassens dans la chanson a été un immense événement ; dans cet art-là, plus rien n’a été comme avant…

(.............)

--------------------------------------------------------------------

C'est malheureusement tout ce que j'ai sur cette entrevue très intéressante.   Je suis en communication avec Jean-Paul Sermonte et je pourrai peut-être bientôt afficher ici l'entrevue au complet.

Voici le lien conduisant à la revue...

 Les Amis de Georges.

 



Haut de page | Page principale